Lettre de François Loyer, membre de la Commission nationale de Patrimoine et de l’Architecture, grand Prix du Patrimoine
- APPC
- 30 mai
- 3 min de lecture
François LOYER
5 rue Emile-Zola
80000 AMIENS
Tel. 09.73.68.39.81
Amiens, le 22 mai 2024
Madame Eva HEIN-KUNZE
Présidente de l’Association pour la protection
du Patrimoine de Copernic
76, rue de la Pompe
75116 PARIS
Madame la Présidente,
Je fais suite à notre échange concernant l’avis de la CRPA du 27 septembre 2018 relatif à la demande de protection MH de la synagogue Copernic et vous récapitule mes réflexions à cet égard :
On ne peut pas se satisfaire de prétendre que la façade altérée par une surélévation ne présente aucun caractère remarquable. Ce jugement trop superficiel porte sur l’enveloppe extérieure de l’édifice, sans considération pour sa structure et son décor.
Il ne tient aucun compte de l’intérêt historique de l’édifice : le petit hôtel a été bâti par Georges Bechmann (1848-1927), un ingénieur de première importance dans l’histoire de Paris. C’est lui qui a été en charge des Eaux de Paris, avant de piloter l’entreprise du Métro Nord-Sud au tournant du siècle. Indirectement, il est aussi l’auteur des réseaux souterrains qui sont mitoyens de la synagogue. La construction de cet hôtel a été effectuée sous la destinée de l’opération d’alimentation en eau du secteur ouest de la ville. Une des galeries voûtées donnant accès aux réservoirs, la revenue du terrain voisin permettait de faire un bon investissement. L’ingénieur ne devait pas trouver désagréable de voir son propre frère réaliser une réalisation dont il avait conçu le projet.
Il n’est guère plus convaincant d’affirmer que le seul lieu de culte, dont les décors et salles murales se rencontrent communément, ne relève pas d’un intérêt architectural ou patrimonial. Depuis lors, des études ont révélé qu’il s’agit de ce qu’on appelle une « synagogue consistoriale » – il n’y en avait qu’un seul exemple en France, dans un distinctif édifice au culte judaïque, de facture religieuse d’inspiration Art déco. L’analyse par ailleurs démontré la fragilité de cette ornementation. Toute tentative de déplacement représenterait une atteinte irréparable.
Certes, il est déplorable que la délégation permanente de la CRPA ait pris une décision hâtive, dans un contexte où elle n’a pas toujours des moyens en rapport avec les responsabilités dont elle est chargée. Faute de connaissances, il a résulté un refus de la demande, et le rejet de cette synagogue qui méritait mieux, a été confirmé par l’État à l’époque. Cette affaire embarrassante qui remonte à près de dix ans, est à présent portée à votre suite avec plus de recul. On ne peut pas en rester de nos jours à une décision qui repose sur un constat d’ignorance.
Quant à l’affirmation selon laquelle le bâtiment « ne porte pas de trace matérielle des attentats » dont il a été victime, il doit bien y avoir la marque de la réparation de l’appui et du jambage de la fenêtre de gauche au rez-de-chaussée, la même où a été déposée la bombe de 1941 lors de la vague d’attentats antisémites de militants d’extrême-droite à Paris. De nombreux événements dramatiques ont mis à l’épreuve la conservation de ces effets matériels ravagés, alors que souvent il en est d’autres plus marquants que l’édifice a survécu. En témoignent éloquemment les débats autour de la restauration de la cathédrale de Reims, à la suite de son bombardement pendant la Première Guerre mondiale. Le maintien et la restauration d’un édifice martyrisé s’attache autrement plus de portée que sa disparition au profit de moindre plaide, voire oubliée.
En espérant que ces observations soient de nature à assurer la protection de la Synagogue Copernic, je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
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