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Que vaut une synagogue ? / The Value of a Synagogue

par Llewellyn Brown,


FRANCAIS:

Quelques éléments de présentation

Le prestige dont jouissait notre patrimoine autrefois est aujourd’hui affaibli. Sans évoquer les ravages causés par la guerre ou le fanatisme religieux, nous assistons à des tentatives d’effacement qui suivent des voies pacifiques et légales : en France, des édifices religieux, désaffectés faute de fidèles, sont parfois démolis ou transformés ; des monuments ou des hauts lieux de notre culture sont aussi cédés à des étrangers fortunés. Un lieu et une histoire Une menace de cette nature pèse aujourd’hui sur la célèbre synagogue de la rue Copernic à Paris, que l’Union Libérale Israélite de France (ULIF) fit construire en 1923-1924. Pièce unique en son genre – un exemple de l’Art déco –, cet édifice date d’un moment où, contrairement à la grande époque du tournant du siècle, on ne construisait plus de synagogues : dans la société environnante, l’ambiance devenait déjà oppressante pour les Juifs, ceci faisant que les synagogues de style Art déco sont rares en Europe. La salle principale de l’édifice conserve aujourd’hui de nombreuses caractéristiques décoratives et structurelles notables : une verrière vitrail, portant un magen David (étoile de David) rayonnant, signée Pierre-Jules Tranchant et datant de 1924 ; des frises en bas-relief caractéristiques de l’Art déco. Sans être classé monument historique – bien à tort –, le bâtiment actuel est presque centenaire. L’un de ses aspects les plus remarquables ne peut qu’échapper au non-spécialiste : dans la salle principale, des poutres soutiennent un plafond plat surmonté d’une coupole, en sorte que le poids de cette dernière n’est pas distribué directement sur les murs porteurs. Il s’agit d’un morceau de virtuosité technique, imaginé par l’architecte Marcel Lemarié. Une histoire ensanglantée En plus des aspects architecturaux, certains événements marquants entourant ce lieu restent dans toutes les mémoires. Le 3 octobre 1941, d’abord, des actes terroristes touchèrent plusieurs synagogues parisiennes, dont celle de la rue Copernic. Des miliciens français firent exploser une bombe, causant la destruction partielle de l’édifice, que la communauté reconstruisit dès 1946. Ensuite, le vendredi 3 octobre 1980 (date anniversaire de la précédente attaque !), au sortir de l’office, eut lieu l’attentat perpétré par le groupe d’Abou Nidal, causant la mort de quatre personnes et de nombreux blessés. Si ce dernier événement donna lieu à des manifestations de soutien à l’échelle nationale et internationale, les réactions furent plus mitigées du côté des autorités françaises. Pour dénoncer l’attentat, Raymond Barre fit une distinction scabreuse entre les « Israélites qui se rendaient à la synagogue », et les « Français innocents qui traversaient la rue ». Puis un appel anonyme passé à l’AFP, revendiquant la responsabilité de l’explosion au nom d’un groupuscule d’extrême droite, offrit le prétexte idéal pour détourner l’enquête de la piste des Arabes du Proche Orient. La gauche prétendit que Giscard était complice des extrémistes, et le nouveau gouvernement socialiste continua à pousser l’enquête dans la même direction. C’est le juge antiterroriste Marc Trévédic qui lança un mandat d’arrêt contre Hassan Diab, l’un des assassins présumés du Front Populaire de Libération de la Palestine, établi depuis au Canada, de sorte que celui-ci fut enfin mis en examen et en détention, en… 2008. Diab, qui s’est reconverti en maître de conférences dans deux universités de la capitale Ottawa, est extradé vers la France en 2014. Il y est incarcéré avant d’être remis en liberté en 2016, après l’audition d’un témoignage mettant en doute sa participation à l’attentat. La démolition : un choix radical Malgré la valeur patrimoniale incontestable de ce lieu, en 2015, le conseil d’administration de l’ULIF – sous la présidence de Jean-François BENSAHEL, flanqué de ses adjoints Guy BOUAZIZ et Bruno FRAITAG* – annonça sa décision de démolir tout simplement l’immeuble historique, pour le remplacer par une construction neuve. Non seulement rien n’a été prévu pour la conservation des éléments patrimoniaux, mais la source envisagée des financements reste entourée de mystère : où cette petite communauté est-elle supposée trouver la bagatelle de 20 millions d’euros environ, nécessaires à la réalisation du projet ? Le secret et la précipitation semblent avoir présidé à l’action de Jean-François Bensahel, qui a su s’assurer du soutien des membres du conseil d’administration. Certes, en février de cette année, les cotisants de l’ULIF furent conviés à une présentation du projet par les architectes, mais on a surtout évité de solliciter l’avis de la communauté dans son ensemble. Bien sûr, divers arguments sont avancés pour justifier la démolition, mais ils demeurent singulièrement spécieux. L’on prétend que le bâtiment ne serait plus suffisamment solide à la suite de l’attentat de 1980. Ce n’est guère sérieux : la Ville de Paris et les Bâtiments de France eussent alors fermé ce lieu de réunion depuis longtemps. On argue de l’impératif d’une « mise aux normes ». Suivant cette logique cependant, il faudrait raser tous les monuments historiques de France, sans compter que les normes d’aujourd’hui seront inévitablement obsolètes dans cinq ans. Un patrimoine universel Cette synagogue témoigne de l’amour, de la dévotion et de l’énergie que des hommes et des femmes ont consacré à la fondation et à la conservation de ce lieu. Par exemple, quand la verrière fut fracassée en 1980, toute la communauté s’investit pour la faire restaurer. Aujourd’hui cependant, son sort est jugé négligeable : au mieux, elle sera logée « dans un coin quelque part ». C’est bien à de tels points de détail que l’on mesure le véritable esprit d’une entreprise : en l’espèce, le mépris des générations passées, du patrimoine architectural, et Le caractère exceptionnel de la synagogue de la rue Copernic en fait une pièce du patrimoine qui dépasse la seule communauté libérale : elle appartient à la France, voire au patrimoine universel, tel qu’on a fini par concevoir cette notion aujourd’hui. La conservation de cet édifice concerne donc tous ceux – juifs ou non - qui accordent une valeur à la culture et à l’humain. Il importe à présent d’affirmer cet attachement. Voir aussi : Dominique Jarrassé, Guide du patrimoine juif parisien, photographies de Sylvain Ageorges, Parigramme, 2003. Llewellyn BROWN


(article publié par la Metula News Agency ; info # 011204/17) *REMARQUE : Bruno FRAITAG est membre des Journées Européennes de la Culture et du Patrimoine Juifs en France (JECPJ), qui demande aux maires de France de s'engager « – à prendre en compte la préservation du patrimoine mobilier et immobilier juifs dans l’action patrimoniale de la municipalité, – à sensibiliser nos concitoyens sur l’intérêt de cette conservation qui revêt le caractère d’enjeu collectif […]. »


ENGLISH


The prestige that our patrimony once enjoyed is diminished today. Without evoking the ravages caused by war or religious fanaticism, we see peaceful and legal means used to erase our heritage: in France, religious edifices, fallen into disuse for want of congregations, are sometimes demolished or transformed; monuments and remarkable cultural sites are also delivered into the hands of wealthy foreigners.


A place and a history


A threat of this nature looms today over the famous synagogue of rue Copernic, in Paris, built by the Union Libérale Israélite de France (ULIF) in 1923–1924. A unique construction—an example of Art Déco—this building dates from a time when, contrary to the great era at the beginning of the 20th Century, synagogues were no longer being built: the atmosphere was already starting to be oppressive for Jews. Art Déco synagogues are therefore rare in Europe.


The main room of the edifice today preserves numerous important decorative and structural characteristics: a stained-glass ceiling panel, bearing a radiating magen David (star of David), signed by Pierre-Jules Tranchant dated 1924; bas-relief friezes characteristic of Art Déco. Although it has not been scheduled for protection as a historical monument—an error—the present building is almost a century old.


One of the most remarkable aspects can only escape the eye of the non-specialist: in the central room, beams traverse a flat ceiling supporting a cupola, so that the weight of the latter is not distributed directly on the supporting walls. This construction is an architectural tour de force, created by the architect Marcel Lemarié (1864–1941).


A violent history


In addition to the architectural aspects, certain historical events surrounding this edifice remain in the memories of all. On 3 October 1941, acts of terrorism struck several Paris synagogues, among which the one situated rue Copernic. French militiamen set off a bomb, causing the partial destruction of the edifice, which the community subsequently rebuilt in 1946.


Then, on 3 October 1980 (anniversary of the previous attack), after the service, a bomb attack was perpetrated by the Abu Nidal group, resulting in the death of four persons, and leaving many wounded.


If the latter event gave rise to demonstrations of support all over the country, as well as internationally, the reactions of French authorities were more mitigated. To denounce the attack, Raymond Barre made an indecent distinction between “Israelites going to the synagogue” and “innocent French people crossing the street”.


Then an anonymous telephone call to Agence France Presse claiming responsibility for the explosion in the name of a small extreme right-wing group, offered an ideal pretext to turn the inquiry away from the Arabs of the Middle East. The French left-wing claimed that Valéry Giscard d’Estaing was an accomplice of the extremists, and the new socialist government continued to push the inquiry in the same direction. It was the antiterrorist judge Marc Trévédic who published an international arrest warrant for Hassan Diab, one of the suspected assassins of the Popular Front for the Liberation of Palestine, living in Canada, so that the latter was placed in detention in… 2008. Diab, who had become a lecturer in two universities in Ottawa, was extradited to France in 2014. He was incarcerated before being freed in 2016, after the audience of one witness shed doubt on his participation in the attack.


Demolition: a radical choice


In spite of the incontestable patrimonial value of this site, in 2015, the governing board of the ULIF—presided by Jean-François BENSAHEL, along with his two deputies Guy BOUAZIZ and Bruno FRAITAG—announced its intention to quite simply demolish the historic building, in order to remplace it by a new construction. Not only was nothing planned to preserve the patrimonial elements, but the means to finance the project remain shrouded in mystery: how is this small community supposed to come up with the trifle of roughly 20 million euros (almost $ 22 million) necessary to carry out this project?


Secrecy and haste seem to have governed the actions of Jean-François Bensahel, who has secured the support of the board members. It is true that the contributing members of the community were invited to a presentation of the project by the architects (23 February and 28 June 2017), but Bensahel avoided seeking the opinion of the community as a whole.


Of course, various arguments are put forward to justify this demolition, but they remain singularly specious. It is claimed that the building is no longer sound because of the 1980 attack. Such an allegation can hardly be considered seriously: the Paris town hall and the Architectes des Bâtiments de France organisation would have closed it down long ago. It is supposedly imperative to “comply with norms”. However, according to this reasoning, it would be necessary to raze all of France’s historic monuments; without forgetting that today’s norms will inevitably be obsolete in five years or so.


Universal heritage


This synagogue testifies to the love, the devotion and the energy that men and women have devoted to the founding and preserving of this edifice. For example, when the stained-glass panel was shattered in 1980, the whole community invested in its restoration. Today however, its fate is deemed negligible: at best, it will be placed “in a corner somewhere”. Such points of detail reveal the true spirit of an enterprise: in this case, the scorn for past generations, for architectural heritage and today’s community.


Llewellyn Brown

Originally published in French by the Metula News Agency


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