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Synthèse du mémoire en réplique par Maître Marc Bellanger, juin 2020

Dans le cadre de la protection de la synagogue de la rue Copernic, menacée de démolition au profit de la construction d’une nouvelle synagogue de style résolument contemporain – projet porté par son propriétaire, l’Union Libérale Israélite de France (ULIF) –, l’Association pour la Protection du Patrimoine de Copernic (APPC) a engagé une action en justice destinée à protéger la synagogue existante en obtenant le classement ou l’inscription de l’immeuble au titre des monuments historiques.


Sa demande ayant été rejetée par le préfet d’Île-de-France le 17 octobre 2018, puis par le ministre de la Culture le 30 janvier 2019, l’APPC a décidé de saisir le Tribunal administratif de Paris d’un recours en annulation dirigé contre ces deux décisions.


Aux termes d’une requête introductive d’instance, puis, dernièrement, d’un mémoire en réplique répondant au mémoire en défense du préfet d’Île-de-France, l’APPC, par la voix de son avocat maître Marc Bellanger du cabinet HMS Avocats à Paris, spécialiste en droit public, a contesté tant la légalité externe que la légalité interne des décisions attaquées, refusant le classement de la synagogue.


En premier lieu, l’APPC a soulevé deux moyens de légalité externe.


D’une part, elle a invoqué l’irrégularité de la procédure suivie, faute pour le préfet d’avoir rapporté la preuve de ce que le maire du 16e arrondissement de Paris avait bien été informé de la séance de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture qui s’est tenue le 27 septembre 2018.


Or, en application des dispositions de l’article R. 611-28 du code du patrimoine, cette information du maire constitue une formalité substantielle dont l’omission est de nature à vicier la procédure de classement ou d’inscription (v. en ce sens CE, 24 mars 2004, Commune du Marin, n° 248910).


À supposer même que le maire ait décidé de ne pas participer à la séance, encore faut-il donc être certain que celui-ci ait, à tout le moins, été invité à faire valoir ses observations, ce dont il n’est pas permis de s’assurer en l’état.


D’autre part, l’APPC a développé un moyen tiré de ce que la décision de refus de classement qui lui avait été opposée n’était pas suffisamment motivée.


Traditionnellement, une décision administrative individuelle, lorsqu’elle est défavorable, doit être motivée, en droit et en fait.


Si, pour sa défense, le préfet tente de soutenir que sa décision ne constituerait pas une décision individuelle mais réglementaire – échappant comme telle à l’obligation de motivation –, l’APPC soutient pour sa part qu’il convient de faire une distinction entre la décision de classement et celle de refus de classement.


Si l’on peut concevoir que la décision de classement, en ce qu’elle produit des effets à l’égard du propriétaire et des tiers, revêt un caractère hybride, à la fois individuel et réglementaire, la décision de refus, laquelle n’a d’effet qu’à l’égard du propriétaire – ou de la personne ayant intérêt à solliciter la protection – constitue, quant à elle, une décision individuelle défavorable ; elle devait donc être motivée.


Or, au cas présent, il n’est fait état, aux termes de la décision du préfet attaquée, d’aucun élément propre à la synagogue non plus que d’aucun élément de droit précis, sur lequel ce dernier se serait fondé pour justifier sa décision de refus de classement.


Le préfet a signé en réalité en l’espèce une décision stéréotypée, ne répondant nullement aux exigences de la jurisprudence en la matière, se bornant à se ranger purement et simplement derrière l’avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture.


Il en va de même de la décision du ministre en date du 30 janvier 2019, qui ne contient aucune motivation propre.


En second lieu, et au titre de la légalité interne, l’APPC s’est employée à démontrer l’erreur d’appréciation dont est, selon elle, entachée la décision attaquée, le préfet ayant considéré à tort que ni l’intérêt historique, ni l’intérêt artistique, culturel ou cultuel de l’édifice, ne serait suffisant pour justifier une protection de la synagogue de la rue Copernic au titre des monuments historiques.


En droit, peuvent être inscrits au titre des monuments historiques, en tout ou partie, les immeubles qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation (art. L. 621-5 al. 1 du code du patrimoine).


Si, dans les faits, les conditions d’histoire et d’art interfèrent souvent entre elles, il s’agit bien d’un critère alternatif et non cumulatif. En clair, l’une, seulement, de ces deux conditions, suffit à justifier l’inscription au titre des monuments historiques.


Au cas présent, rejetant en bloc l’argumentation du préfet, l’APPC a démontré, grâce aux analyses et témoignages d’experts qu’elle a recueillis, que les deux conditions étaient réunies.


D’une part, l’APPC a tout d’abord souhaité répondre au préfet, déniant tout intérêt historique à la synagogue de la rue Copernic, au motif que « l’exercice du devoir de mémoire […] pourra se poursuivre quand bien même le projet de reconstruction de la synagogue verrait le jour ».


À l’évidence, l’ampleur des travaux envisagés – consistant ni plus ni moins pour l’ULIF à faire table rase du passé, et donc à emporter avec eux les dernières traces matérielles des événements qui s’y sont déroulés – contribuera à détruire l’intérêt historique de la synagogue, laquelle appartient pourtant à la mémoire collective marquée par les événements de l’histoire dont elle a été le théâtre.


À cet égard, Monsieur Dominique JARRASSÉ, spécialiste du patrimoine juif français, au terme d’une expertise extrêmement exhaustive et instructive qu’il a réalisée de la synagogue de la rue Copernic, a rappelé, au-delà du « fleuron du judaïsme français » qu’elle représente, à quel point le double attentat qu’a subi la synagogue, en 1941 puis en 1980, contribue à en faire un véritable « lieu de mémoire » : « Aujourd’hui, Copernic est un lieu de mémoire, non seulement pour les victimes, dont les noms sont inscrits en façade, pour la communauté elle-même, mais aussi pour la conscience nationale. Aucun autre attentat contre une synagogue ne viendra se substituer dans la mémoire collective avec cette résonance ».


C’est également l’avis de Madame Agnès CAILLIAU, architecte DPLG, pour qui « le nom de Copernic est désormais associé à son histoire ».


Reprenant l’argumentation de la DRAC et du directeur général du patrimoine du ministère de la Culture, la position du préfet s’oppose, qui plus est, à la jurisprudence selon laquelle, si des travaux de transformation ne font pas nécessairement perdre à l’immeuble son intérêt dès lors qu’il présente toujours, par ses volumes et caractéristiques, un intérêt d’art et/ou d’histoire suffisant, tel n’est pas le cas lorsque l’immeuble d’origine est démoli ou qu’il subit de lourds travaux de réhabilitation.


Plus encore, l’APPC a tenté sur ce point de mettre le préfet face à ses contradictions. En effet, dans ses écritures, ce dernier n’en reconnaît pas moins « le lieu de mémoire » que représente la synagogue Copernic, et en particulier « la salle de culte », pour citer l’un des membres de la délégation permanente à l’occasion de la séance qui s’est tenue le 27 septembre 2018.


Cela participe d’ailleurs, ainsi que l’a souligné l’APPC au terme de ses écritures, de la volonté jusqu’alors exprimée de reconstruire à l’identique la synagogue, à chaque fois que celle-ci a été endommagée.


D’autre part, l’APPC s’est employée à produire et à analyser d’autres avis d’experts spécialisés, tous unanimes pour reconnaître la modernité du lieu et donc l’intérêt artistique de la synagogue.


En effet, tant Monsieur Dominique JARRASSÉ que Monsieur François LOYER, membre de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture, s’accordent à dire que la synagogue de la rue Copernic est une « expression évidente des prémices de la modernité avec une expression “arts-décorative” savoureuse dans un lieu culturel », ce qui en fait une « référence dans l’art juif du XXe siècle en France ».


Plus encore, alors même que certains voudraient tenter de dénier tout intérêt architectural à ce lieu, et en particulier à sa façade – dont l’« absence de caractère est trop évidente pour n’être pas significative » (F. Loyer, Sublimer les contraintes : un temple de lumière) – force est d’admettre l’intérêt artistique de son oratoire : « L’étude de la coupe sur la synagogue montre beaucoup d’habileté de la part de son maître d’œuvre pour aménager en cœur d’îlot urbain très serré, un lieu cultuel cryptique, éclairé par une grande verrière zénithale suspendue. Le résultat est illustratif de cet art de la distribution à la française, associant espace et lumière avec habilité » (A. CAILLIAU).


D’où l’incompréhension légitime de certains experts qui rejoint la position de l’APPC :

« D’une configuration qui la situe entre la synagogue monumentale – même si elle n’a pas de façade – et l’oratoire caché, la synagogue Copernic témoigne d’un type de lieux de culte dont finalement assez peu sont conservés […]. Copernic […] témoigne aussi de cette conception du lieu de prière. Or, aucun oratoire, tant à Paris qu’en région, n’est protégé au titre des monuments historiques. Pourquoi ? » (D. JARRASSÉ).


Par un jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 2 juin 2020 qui a débouté l’ULIF de toutes ses demandes formulées à l’encontre de l’APPC, le juge judiciaire a abondé encore dans ce sens :

« En l’espèce, il n’est pas contestable que l’objet statutaire de l’Association APPC consiste à protéger le patrimoine architectural de la synagogue Copernic, dont il est difficilement contestable que bien que non classée monument historique, l’édifice conserve aujourd’hui de nombreuses caractéristiques décoratives de pur style Art Déco réalisées par les artistes les plus prestigieux de l’époque et qui constituent des chefs d’œuvre de virtuosité artistiques et techniques, outre la dimension historique attachée au bâtiment dans son ensemble. » (Tribunal judicaire de Paris, 2 juin 2020, RG 18/14961).


Enfin, rappelant que la jurisprudence apprécie aussi la légalité d’un refus de protection en prenant en considération l’ensemble du paysage avoisinant, il a semblé important à l’APPC de dresser un état des lieux circonstancié. De fait, se situant au milieu d’un patrimoine architectural et historique riche et plus globalement protégé, l’emplacement même de la synagogue est particulier et doit également être pris en compte, ce qui n’a pas été le cas.


C’est ainsi que l’APPC poursuit son combat devant le tribunal administratif de Paris en faveur d’une protection de la synagogue, à tout le moins de sa salle de culte, unanimement reconnue comme présentant un intérêt mémoriel, suffisant à justifier une protection, indépendamment même de l’intérêt artistique de l’immeuble l’abritant.

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