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Un patrimoine architectural exceptionnel, un lieu de mémoire unique

par Hervé Doucet.


Sur les quatre synagogues aujourd’hui classées au titre des Monuments Historiques (1) à Paris, une seule a été édifiée au cours du XXe siècle : il s’agit de la Synagogue de la rue Pavée, dans le quartier du Marais, élevée entre 1913 et 1914, sur les plans d’Hector Guimard, le célèbre architecte Art nouveau à qui l’on doit notamment les premiers édicules du métro parisien. Trois autres synagogues bénéficient du Label « Patrimoine XXe » qui ne se traduit par aucune protection particulière mais qui signale aux amateurs et au grand public l’intérêt architectural de l’édifice. À l’exception peut-être de la synagogue de Belleville, tous ces édifices ont en commun leur indéniable caractère monumental. À l’inverse, les caractéristiques architecturales de la synagogue de la rue Copernic sont le fruit de la rapide croissance de l’Union libérale Israélite (2), son commanditaire, autant que le reflet des spécificités des pratiques cultuelles de cette communauté. Elle s’impose donc comme un contre-modèle des exemples repérés et privilégiés jusqu’ici par le Ministère de la Culture.


En 1923, l’architecte Marcel Lemarié (1864-1941) est choisi pour concevoir la synagogue du 24 rue Copernic (3) en raison de la notoriété qu’il avait notamment tirée de la réalisation du Palais de la Danse à l'Exposition universelle de 1900 et du « Théâtre Nouveau » de Belleville (1912) où il avait fait preuve de sa maîtrise technique des nouveaux matériaux.


Au cours des années 1920, plusieurs édifices à destination religieuse mettent en œuvre le béton armé. Il a notamment été employé par Auguste Perret qui a su en tirer le meilleur parti pour la réalisation de l’église Notre-Dame du Raincy (1922-1923) (4). L’ossature de béton – laissée apparente – y dégage de vastes espaces pour les baies qui valurent à l’église son surnom de “Sainte-Chapelle du béton armé”. Le béton armé a été mis en œuvre différemment rue Copernic. Toutefois, des raisons structurelles expliquent, ici comme au Raincy, le choix de ce matériau moderne. Parce qu’il permet de réduire au minimum l’épaisseur des supports, le béton rendait possible la construction d’une synagogue dans un espace à la fois petit et très contraint. Contrairement à Perret qui entendait démontrer la capacité du béton à rivaliser avec les matériaux traditionnels non seulement d’un point de vue technique, mais également sur le plan esthétique ; ici, l’architecte ne tire profit que de ses possibilités techniques et ne souligne pas visuellement la présence du béton, préférant recourir à de très beaux décors dont l’esthétique Art Déco permet d’inscrire l’édifice dans son époque.


Parvenir à créer un tel espace à l’intérieur d’un cadre préexistant n’en constitue pas moins un véritable tour de force. De ce point de vue, un rapprochement peut être suggéré avec la célèbre « maison de verre » que Pierre Charreau et l’architecte Bernard Bijvoët réalisèrent, en 1928, 31 rue Saint Guillaume à Paris pour le Docteur Dalsace (5). Bien que répondant à des programmes architecturaux radicalement différents, les deux édifices sont comparables sur bien des points. En effet, dans les deux cas, un volume neuf est inséré à l’intérieur d’une construction ancienne. Dans les deux cas, c’est l’emploi rationnel d’une structure innovante qui permet la performance architecturale. En outre, la contemporanéité des deux réalisations n’est sans doute pas fortuite : l’époque accordait une attention particulière aux innovations architecturales rendues possible par les matériaux industriels mis en œuvre de manière rationnelle dans des structures inédites. Dans les deux cas, ensuite, se pose la question de l’éclairage naturel du volume nouvellement construit. Alors que rue Saint-Guillaume, c’est le pavé de verre qui s’impose sur la façade sur cour car il permet d’assurer l’intimité nécessaire à l’espace de l’habitation, l’éclairage zénithal, dont la symbolique sied à un édifice religieux, est privilégié rue Copernic. Dans les deux cas, enfin, la discrétion depuis la rue est de mise puisque les deux œuvres se déploient derrière une façade banale qui ne les laisse en rien deviner.


La qualité d’un bâtiment ne se juge pas uniquement à la monumentalité de sa façade ou à la célébrité de son architecte. Sa valeur peut résider dans la parfaite adaptation de son architecture à sa destination et le talent du maître d’œuvre à tirer le meilleur parti – par des inventions techniques, volumétriques ou formelles – de contraintes a priori rédhibitoires. Par-delà ses indéniables qualités architecturales, la synagogue de la rue Copernic est également – et à plusieurs titres – un lieu de mémoire de premier plan. Non seulement la synagogue, par son architecture et son décor, témoigne des pratiques cultuelles de l’Union libérale Israélite, mais ses murs portent les stigmates de périodes sombres de l’histoire française. En 1941 et en 1980, la synagogue a été la cible de deux attentats. Cette qualité de témoin devrait justifier à elle seule la conservation de l’intégrité de la Synagogue.


Hervé DOUCET

Maître de conférences en Histoire de l’art contemporain,

Université de Strasbourg


NOTES

1. Voir la base Mérimée en cliquant ici.

2. Dominique Jarrassé a parfaitement retracé l’historique de la Communauté dans son étude.

3. Cette synagogue devait remplacer l’oratoire qui avait été installé à cette même adresse en 1907.

4. Classée Monument historique en 1966, l’église du Raincy est aujourd’hui en péril.

5. Classée Monument historique en 1982.

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