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Jean-Marie Rouart: « Monseigneur Aupetit, pitié pour Notre-Dame ! »

TRIBUNE - L’écrivain s’effare des projets de l’archevêque de Paris pour la cathédrale: remplacer les vitraux détruits dans l’incendie par des œuvres d’artistes contemporains, installer à la place des chaises des bancs conçus par des designers et créer un parcours lumineux.

Par Jean-Marie Rouart


Publié le 22/11/2020 à 19:11, mis à jour le 23/11/2020 à 11:04


Notre-Dame a, Dieu merci, échappé à la destruction par le feu. Elle a échappé tout au long de sa longue histoire à tous les périls qui la menaçaient : les guerres de Religion, les fureurs anticléricales du Comité de salut public, l’invasion des cosaques en 1815, les folies destructrices de la Commune de Paris, la « grosse Bertha » pendant la Première Guerre mondiale. Chef-d’œuvre de l’architecture médiévale, elle a été sauvée in extremis de la décrépitude, voire de la démolition, par les efforts conjugués de Victor Hugo, de Mérimée et de Viollet-le-Duc. Elle a échappé miraculeusement à tout. Peut-être pas, hélas, au prurit réformiste de Mgr Aupetit, l’archevêque de Paris, qu’une soudaine illumination, d’une folle originalité il faut l’admettre, a converti comme tout un chacun à la mode de la création contemporaine. Ce prélat gentilhomme ne souhaite rien de moins que donner une touche moderne à la cathédrale en demandant à des artistes contemporains de remplacer les vitraux détruits par des œuvres de leur cru, d’installer des bancs conçus par des designers ainsi que des parcours lumineux psychédéliques pour guider les visiteurs. Bref, une Notre-Dame reloukée, pour parler le jargon du temps. Il ne s’agit pas, entendons-nous bien, de saisir ce prétexte pour jeter l’anathème sur l’art contemporain, qu’on ne peut juger en bloc puisqu’il revêt des expressions artistiques et des talents trop divers pour qu’on ait le ridicule de l’englober dans le même injuste opprobre.


La question est ailleurs. Elle dépasse la mitre de cette respectable Éminence soudain saisie par la fièvre artistique comme tant d’autres de ses prédécesseurs qui, à l’instar du cardinal Mazarin, ont su allier passion de l’art et génie politique. Mais il est à craindre que ses inspirateurs ne soient pas ces hommes d’Église hors pair, papes ou cardinaux, qui, doués d’une fabuleuse intuition artistique, nous ont donné la chapelle Sixtine ou l’église du Redentore de Venise, et mille autres chefs-d’œuvre. On peut craindre qu’il s’agisse plutôt d’un plat conformisme aux lubies de notre temps, qui a érigé le progressisme en matière artistique comme un article de foi.


Religion simple et facile qui a amené tant d’édiles provinciaux à massacrer en toute bonne conscience les monuments qu’ils avaient la charge et le devoir de préserver. Pour prendre un exemple parmi une multitude, cette monstrueuse et inepte gare d’Amiens, œuvre d’un maire iconoclaste, qui défigure à jamais la magnifique tour érigée par Auguste Perret. À ce vandalisme d’État on pourrait ajouter la longue théorie des chefs-d’œuvre architecturaux odieusement violentés: le Palais de la Porte Dorée, à Paris, merveille de l’Art déco due au talent d’Albert Laprade et du sculpteur Alfred Jeanniot, qui, en contravention à son classement au titre des monuments historiques, a vu sa façade et sa décoration intérieure malmenées par un ancien ministre en mal de singularité. Ou encore, dernier sacrilège, les œuvres du plasticien Anselm Kiefer, quel que soit par ailleurs son talent, qui, apparaissant comme des verrues malvenues, viennent de défigurer l’église du Panthéon, chef-d’oeuvre de Germain Soufflot. Et ce à l’instigation du président de la République lui-même, qui devrait pourtant donner l’exemple en matière de préservation du patrimoine ; caprice désinvolte du Prince qui ne provoque que l’indignation d’un grand et courageux critique d’art, Didier Rykner, dans La Tribune de l’art.


Mgr Aupetit pourrait lire avec profit les réflexions d’un artiste qui devrait lui plaire, lui qui se flatte de vouloir ne pas rater le dernier métro de l’air du temps: Salvador Dali, ancien surréaliste et donc de ce fait orfèvre en «modernité» s’il en est, qui, dans son pamphlet Les Cocus du vieil art moderne, s’exclame: « Ô peintre, ne te préoccupe pas d’être moderne, tu le seras hélas forcément. » Ce que Dali met en lumière, c’est le minimum de modestie et de respect qui devrait être le nôtre devant les grands artistes qui nous ont précédés. Une modestie qui devrait nous inciter à respecter la cohérence et l’intégrité de leurs œuvres. Que notre époque puisse être à sa manière une pourvoyeuse de grands artistes, c’est l’évidence, même si la conception de l’art à laquelle ils se réfèrent, le plus souvent en rupture, devrait nous conduire, tout en les admirant pour ce qu’ils sont, à éviter de les utiliser en en faisant la matière d’expérimentations douteuses. Où est l’intérêt de se servir d’eux comme d’adjuvants parasites à des chefs-d’œuvre anciens, fruits de la longue tradition du passé ?


Notre-Dame illustre plus qu’aucun autre monument non seulement l’histoire de la France, mais une idée de sa mission qui la déborde: elle est le symbole d’une réconciliation de son enracinement profond, essentiel, dans les valeurs chrétiennes par le truchement de cette leçon tirée des Grecs et des Romains: diffuser la vérité par la beauté, et de sa récupération par la République en mal de spirituel. Laïque dans sa lettre et au fond assez peu dans son esprit, celle-ci n’a pas hésité à assister en grande pompe, dans la tradition jésuitique des accommodements, à des Te Deum pour célébrer la victoire de 14-18 et celle de la Libération. Et même, plus surprenant et plus schizophrénique encore, Paul Reynaud et son gouvernement au grand complet sont même venus à Notre-Dame y implorer Notre Seigneur, le 19 mai 1940, témoignant que, lorsque les ressources militaires se révélaient défaillantes devant les armes allemandes, les caciques de la Troisième République n’avaient plus comme secours que de venir y demander un miracle. Ils n’hésitaient pas à abdiquer leur laïcisme en cherchant un ultime refuge du côté de Jeanne d’Arc et des puissances surnaturelles.


Redorer le blason d’une Église qui a du plomb dans l’aile


Que Mgr Aupetit cherche pour redorer le blason d’une Église qui a du plomb dans l’aile à se conformer aux modes des entreprises en mal de publicité qui succombent aux incantations managériales en s’exclamant à bout d’argument « du moderne! du moderne!», c’est son problème, celui d’un homme qui craint de ne pas être au goût du jour. Ce n’est pas pour autant qu’il doit nous confisquer une cathédrale qui ne lui appartient pas, à lui, mais à la nation tout entière, en la livrant à des turlutaines artistiques susceptibles de la dénaturer, de gâcher nos souvenirs, d’abîmer à jamais l’esprit et l’âme qui flottaient dans ce lieu sacré. Et les exemples qui nous sont donnés du traitement réservé aux églises de France, qui se vident de fidèles et d’objets d’art sacrés en proportion du commerce florissant des antiquaires, malheureuses victimes de la simonie ou pire encore des manies décoratrices de prêtres qui se croient à la page, ne sont pas là pour nous rassurer.


Si Mgr Aupetit veut être à tout prix original, qu’il dédaigne les sirènes d’un pseudo-avant-gardisme en exorcisant son démon pernicieux de la mode qui lui fait emprunter imprudemment une livrée d’esthète qui sent le prêt-à-porter, et qu’il s’en retourne plus légitimement vers les véritables missions délaissées de l’Église: l’aide à la misère qu’elle a abandonnée aux Restaurants du cœur de Coluche ; qu’il suive, à l’exemple de saint Vincent de Paul, le modèle de ces admirables prêtres comme le père Talvas, le père Giros, qui ont usé leur soutane en secourant de tout leur grand cœur les créatures les plus défavorisées, qui, à l’instar des prostituées, composent un peuple de l’abîme. Quant à Notre-Dame, qui porte si bien son nom puisqu’elle nous appartient, que Son Éminence n’ait pas d’autre ambition que de respecter son passé en cherchant simplement à la rendre telle qu’elle était, aussi identique que possible, certes abîmée, mais conservant ce qui importe le plus et émane si fortement de ses voûtes de pierres: son âme éternelle, qui nous parle toujours.

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