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Une résidente de la rue témoigne de l'attentat

Le vendredi 3 octobre 1980, venant de mon bureau, je me dirigeais vers 19h chez moi. Place Victor-Hugo, j’étais frappée par la grande agitation d’un grand attroupement. L’accès à la rue Copernic était interdit par un cordon de police. « Que se passe-t-il ? » « Une bombe a éclaté à la synagogue. » Choquée, je voulais accéder à la rue Copernic par la rue Lauriston, mais à nouveau, un cordon de police m’en empêchait. « Je voudrais rentrer chez moi, dans l’immeuble juste en face, qui fait l’angle. » « Non, il faut d’abord évacuer les morts et les blessés. » Ma plus grande inquiétude venait du fait que juste ce jour-là, j’avais logé deux amis dans l’Hôtel Victor Hugo, en face de la synagogue.


Après avoir attendu environ une heure parmi de nombreuses personnes, un policier m’accompagna jusqu’à l’entrée de mon immeuble. Mon appartement était jonché d’éclats de verre de toutes les vitres en façade. j’appelai l’hôtel pour avoir des nouvelles de mes amis. On me disait qu’ils étaient sortis, et qu’à l’hôtel on ne savait pas s’il y avait des victimes parmi les clients.


Inquiète, je partis dîner. Tout le monde ne parlait que de la bombe. C’était un véritable choc. Lorsque je rentrai tard le soir, j’étais toujours contrôlée par des policiers, mais je pouvais me rendre à l’hôtel où on me rassurait que mes amis étaient rentrés. Ce fut un immense soulagement.


J’ai appris ensuite que la bombe avait causé quatre morts et une quarantaine de blessés. Je connaissais deux des victimes : le fils du propriétaire du magasin d’électricité à côté de la synagogue, et le concierge portugais de l’immeuble en face. La femme de l’électricien avait reçu un éclat de bombe dans la colonne vertébrale, et sa vie était en danger. J’étais ébranlée.

Le nuit était très froide, sans vitres, je gelais dans mon lit. N’arrivant pas à dormir, j’ai observé du balcon les travaux de dégagement. Toutes les voitures étaient brûlées, et toutes les vitres des immeubles de la rue étaient brisées. Une véritable dévastation. Les voitures étaient remorquées. Le bruit du ramassage des débris de verre me fit tressaillir et la réminiscence surgit : la « Nuit du cristal », du 10 au 11 novembre 1938 à Berlin, pendant laquelle les vitrines des magasins juifs furent cassées. Cette nuit fut le déclenchement d’un niveau supérieur de la persécution des Juifs. Une profonde tristesse m’envahit.


Vers sept heures du matin, j’entendis les multiples cris « vi-tri-er ». C’était des vitriers qui montaient la rue Copernic avec leur hotte typique.


Vers neuf heures, les gens commençaient à affluer dans la rue. Ce qui m’a impressionnée, c’était que chacun arrivait tel qu’il était : des personnalités connues, des dames élégantes, des ouvriers dans leur bleu de travail, les uns à côté des autres, tous unis, solidaires, montraient leur attachement à leur religion. La foule était immense : elle s’étendait de la place Victor-Hugo à l’avenue Kléber. Des haut-parleurs étaient installés à la hâte. À dix heures, commença l’office du rabbin, juste en dessous de mon balcon. J’écoutais, j’observais toute cette très belle cérémonie, digne et solennelle. Le thème du sermon du rabbin était centré sur la paix. Lorsque, à la fin, la foule chantait Shalom, et le son plein, chaud et doux montait dans la rue étroite, j’ai éprouvé une émotion rare.


K.J., Paris, le 25 février 2020

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